Le talent c’est de famille, Alexandre Alquier (frère de l’excellent graphiste Camille Alquier) se terrait dans ses contrées paisibles, mais il mit au grand jour une œuvre musicale si profonde, que, bien qu’elle soit évolutive, rock, néoclassique ou prog, elle ne put laisser de marbre aucun esprit de ceux dont l’oreille avait pu capter quelques bribes. Grâce aux mélomanes qui connaissent des mélomanes qui connaissent des amis qui connaissent des amoureux de la musique qui ont une vision particulière de la musique... Bref, nous avons eu la chance de découvrir cet artiste particulier et doux rêveur dont le coeur s’est mis à nu au travers « Des chants de l’Erèbe », nous vous en avions écrit quelques lignes pour tenter de vous faire apprécier, maintenant voici les siennes...
Salut à toi, il était évident qu’en première question, tout le monde aimerait savoir d’où tu viens artistiquement, visuellement, et musicalement, car, à en croire, à en écouter, et à en lire tout ce qui est contenu dans AA & LES ONEIROI, tu sembles être un touche-à-tout d’une part, mais aussi une graine de hardos quand même semblerait-il ? C’est quoi finalement AA & LES ONEIROI, que l’on prononce « Oniris » ?
Wow ! C'est ce qu'on appelle une 1ère pression à froid !
Alors... C'est une longue histoire, tu peux te servir un grand café (ou une bonne pinte) ... Je vais me servir aussi un grand café !
J'ai commencé la musique à l'âge de 7ans, par le piano (après un rendez-vous manqué avec le violon). Je me suis mis à la batterie, vers 14 ans, en même temps que la découverte du hard rock. C'est devenu rapidement addictif. Mais il y avait toujours un piano à la maison ; je continuais à pianoter quelques mélodies. D'ailleurs, j'ai encore les k7 de mes premiers enregistrements. Ma musique était déjà cinématique.
Question influences musicales, j'ai effectivement un lourd passé dans le hard rock. Ce sont les années de mes grandes amitiés musicales, où l'on passait notre temps à jouer, à parler zique, à penser zique et à rêver de notre futur « album ». C'était vraiment génial cette période !
J'ai également baigné dans le jazz (une 15aine de festivals de Jazz In Marciac) et dans la musique minimaliste et contemporaine. Ce sont les héritages du Pater, artiste peintre et grand mélomane devant l'éternel. Cela m'a apporté une culture musicale un peu hors des sentiers battus... Concrètement, si je devais résumer mes influences ça donnerait : The Cinematic Orchestra, Jeff Buckley, Nosfell, Brad Mehldau, Arvo Pärt, Korn, Faith No More, Nirvana, Bach, Philip Glass, Archive, Jack The Ripper... Bref, ça part dans tous les sens et c'est une liste vraiment non exhaustive.
Niveau formations, j'en ai eu peu car j'ai passé de nombreuses années sans jouer de musique (et oui ^^). Etudiant, un groupe de hardcore (THC) où j'ai fait l'une des rencontres musicales les plus importantes, Benoit Courribet, qui officiait à la basse, encore lycéen à l'époque, mais déjà tellement doué. C'est lui que l'on retrouve aujourd'hui à la basse, au mixage et au mastering des « Chants de l'Erèbe » ... et il est toujours aussi doué... mais… plus vieux.
Un groupe de rock « animé » (RUE MORGUE), avec mon frère Camille, à la basse et mon grand ami Ricou (Eric Sarrade), à la guitare. Nous mettions en musique les textes d'un copain dans l'esprit des bandes dessinées... Bref, tout un concept, fort amusant et très décalé. J'ai également joué, il y a quelques années, dans un duo (THE RANDOLPH ASH), avec DC Shell, où j'officiais au clavier, au looper, à la batterie et au back vocaux, tout en même temps... J'étais un peu homme-orchestre, ce qui était très stressant en concert car je devais quasiment construire les morceaux en direct... Ce fut néanmoins une expérience passionnante et une rencontre musicale prépondérante pour moi ; DCShell m'a appris le Do It Yourself. Enfin, il y a 3-4 ans, j'ai accompagné à la batterie Georgio The Dove Valentino pour une mini tournée en Europe et une session studio sur son dernier album. C'est à cette occasion que j'ai rencontré celles et ceux qui allaient devenir les Oneiroi (qu'on prononce effectivement « oniris »). Rencontres plus qu'essentielles !
Du coup, si tu mélanges toutes ces expériences et que tu les combines avec mon côté un peu touche-à-tout, ça nous amène à AA & LES ONEROI.
Et donc de qui et comment t’es-tu entouré quand tu as eu l’idée, l’envie surtout d’écrire, de composer, de jouer, d’enregistrer cet album qu’est « Chants de l’Erèbe » ?
Alors, cet album est le fruit d'un long cheminement comme tu t'en doutes. A l'origine, ce projet a débuté avec THE RANDOLPH ASH. Je voulais composer un morceau de 45 min environ, d'une seule traite, et DCShell devait réaliser un film à partir de la musique. Alors que je m'étais lancé dans cette composition depuis quelques mois, Archive a sorti Axiom... et son film, réalisé à partir de la musique ! J'ai trouvé ça amusant... mais mon égo de créateur a trouvé ça complètement déprimant (ils m'avaient piqué mon idée géniale ^^). Cette création s'est vraiment faite petit bout par petit bout, en alternant les moments d'extase et ceux de grand découragement. J'ai également construit mon petit studio d'enregistrement chez moi entre temps... Bref. C'est pendant cette période que j'ai retrouvé la trace de Benoit Courribet. Cela faisait 25 ans qu'on ne s'était vu. Je lui ai fait écouter ma première mouture du « Tombeau du Temps » et il m'a proposé de m'aider à amener le morceau un peu plus loin. Son aide a été le moment de bascule : celui où ton morceau passe du stade de démo sympa à véritable morceau abouti. Avec Benoit, j'ai passé un cap qualitatif qui m'aurait été impossible de passer seul. Il a repris en charge la basse, le mixage et le mastering. En parallèle, j'avais proposé à Georgio Valentino de poser un chant sur le morceau, histoire de lui rendre un peu de ce qu'il m'avait offert en m'embarquant avec lui au Luxembourg, aux Pays-bas et au Danemark... un moyen de prolonger un peu l'aventure. Sa contribution fut convaincante. Il a apporté une autre dimension au morceau. C'est avec cette même intention que j'ai proposé « L'Etreinte de Nyx » à Penny Ikinger, croisée en Bretagne et en Normandie... Une voix et une présence sur scène incroyable ! Le lapsteel de Florian Claude (Barclau) est arrivé juste avant le chant de Penny. J'étais complètement bloqué sur le morceau. J'ai demandé à Flo de poser un lapsteel qui s'est révélé salvateur. Son apport m'a complètement débloqué. Pour « Birds of Paradise », le morceau était à la base dans un style proche de Satie... à la fois posé et aérien. Après un passage entre les mains d'Eric Becker, il a pris un peu d'épaisseur et de consistance. Un mariage parfait entre l'ombre et la lumière, entre le ciel et la terre. Enfin, pour « Mer des Pluies », il était initialement prévu que ce soit également Georgio Valentino qui officie au chant, mais, malgré des efforts notoires, il est passé totalement à côté du morceau et sa proposition n'a convaincu personne. C'est comme ça que je me suis retrouvé au chant... pour le meilleur et pour le pire.
Au final, j'ai eu la chance de m'entourer de musiciens avec une approche et un engagement très professionnel. C'est un véritable plaisir de travailler avec eux.
Combien d’années aura-t-il fallu pour écrire, puis enregistrer cette œuvre ?
Les premières notes ont résonné il y a 6-7 ans je pense... avec de longs moments de friche, puisqu’entre temps, j'ai composé les musiques d'un autre projet mené avec mon frère illustrateur (To Brothers in the Dark), construit mon studio, retapé une maison, joué dans THE RANDOLPH ASH...
C’est intéressant la présentation que tu en as fait toi-même pour, quelque part, faire une espèce d’introspection, car on ressent la poésie, la nostalgie, la mélancolie d’un enfant qui a grandi, et qui s’est juré, un jour de mettre tout ce qu’il a vécu en notes de musiques. Explique -nous ce que tu entends par « … délivrance à l’image de la maïeutique socratique… » ? Explique-nous comment ta musique ne se consomme pas ; explique-nous en quoi elle est un mouvement ?
Ton analyse et tes ressentis sont très justes ! Poésie, nostalgie, mélancolie me parlent, énormément. Comme déjà dit, réaliser cet album était une sorte d'objectif à visée cathartique... D'où cette notion de maïeutique qui m'est très chère. J'aime cette idée que l'on accouche de quelque chose que l'on a façonné avec le temps, que l'on ne peut connaître à l'avance et que l'on découvre au fur et à mesure que l'on se découvre soi-même. Je n'avais aucune idée de ce à quoi ressemblerait ma musique avant de commencer. Je me suis surpris, étonné moi-même, au fur et à mesure que les morceaux prenaient forme. Comme tu le dis, il y a beaucoup d'émotions dans cette musique... les émotions de la vie, celles qui nous traversent toutes et tous, au moins une fois dans notre vie. Je donne à ressentir, à éprouver... rien de plus. Et c'est ce tumulte émotionnel que j'essaie de retranscrire dans ces divers mouvements... à l'image d'une onde sonore.
Quand je dis qu'elle « ne se consomme pas », j'entends par là que tu ne vas pas la mettre en bruit d'ambiance. Elle n'est pas flatteuse au premier abord. Tu n'as pas une mélodie et un refrain que tu vas mémoriser en 10 secondes et chanter dans ta tête toute la journée durant. J'ose espérer que ma musique demande une écoute attentive, avec cette idée complètement saugrenue aujourd'hui de redonner au fait d'écouter de la musique une place d'activité à part entière. Nous sommes de moins en moins nombreux à le faire me semble-t-il.
Tu parles des tumultes du Styx, de l’Achéron, du Phlégéthon, du Cocyte et de Léthée, mais quelque part, ce sont des références bien sombres, comparé à ce que l’on peut découvrir musicalement dans « Chants de l’Erèbe » non ? Parce que si l’on suit ton cheminement intellectuel, on peut à titre personnel arriver à une espèce de paradoxe avec les images artistiques contenues dans le livret avec toutes ces sculptures, cette mélancolie totalement spleenante provoquée justement par cette dimension automnale d’ailleurs... Qu’en est-il ?
Ah Ah ! C'est toi qui trouves que ma musique n'est pas sombre ! Certains la trouve très sombre justement. Mais on est d'accord, rien à voir avec ce que le metal peut proposer dans le registre du sombre. D'ailleurs, cela faisait partie de mon cahier des charges : je ne voulais pas faire de metal (ou apparenté).
Parle-nous un peu de ces illustrations...
Les illustrations sont un prolongement de l'univers des Oneiroi... La pochette de l'album se devait d'être colorée... car je ne voulais pas concéder les ténèbres au seul registre du metal et le stéréotype caricatural du noir et des têtes de mort. J'ai voulu mêler les éléments qui font mon univers personnel : le mysticisme, la mélancolie, l'art, les vieilles pierres, la nature, la mythologie, l'humain et les animaux... un monde animiste chatoyant ! Je n'avais aucune idée précise au départ... impossible de passer commande... C'est d'ailleurs ma fille Alice qui a créé la 1ère illustration de l'album. Je me suis alors résolu à m'initier à Photoshop (avec la fausse bonne idée que « ça ne devait pas être si compliqué que ça » ... la bonne blague !). J'ai découvert un nouvel univers, la composition graphique... et je me suis régalé. Je ne parle pas des contraintes des formats, des profils colorimétriques exigés pour l'impression, etc., etc., que j'ai également découvertes au fur et à mesure. Au final, cela m'a donné une complète liberté, et ce fut bien appréciable.
Le premier titre de cet album « Le tombeau du temps », est certainement celui qui aura raison de chaque auditeur, puisque c’est le plus long, le plus progressif peut-être, le plus néoclassique et le plus mélancolique. Alors, que devait-il représenter pour être placé en entrée, et pourquoi aura-t-il eu une longueur si magistrale, et non les autres ? Autres qui d’ailleurs prennent plus du rock progressif que du néoclassique.
C'est le 1er que j'ai composé. Il plante le décor et annonce clairement la couleur quant à l'expérience musicale qui attend l'auditeur. L'idée, c'est qu'après ces 22 minutes, tu fais pause et tu prends quelques instants pour te remettre de ce voyage... C'est un peu « Et paf dans ta face ! ». Il ouvre la voie aux autres chansons qui sont dans l'ordre dans lequel je les ai composées. Quant au style... je suis nul, je n'y connais rien... Tu me parles de rock progressif, de néoclassique mais ça n'évoque rien en moi...
Anathema, Pink Floyd, Cocteau Twins sont-ils pour toi des inspirations ou tout au moins des écoutes habituelles ?
Les Floyd, oui... sans être un grand connaisseur. Je n'avais jamais écouté Anathema avant que tu ne m'en parles et les Cocteau Twins, très vaguement il y a quelques années quand je jouais dans THE RANDOLPH ASH. Mes inspirations sont ailleurs !
On entend vraiment la voix très proche sur « Le tombeau du temps » au début, à se demander si elle n’est pas trop forte, mais au final, parce qu’elle fait partie intégrante de l’histoire, on aime à la sentir si proche ; alors comment avez-vous enregistré, mixé et masterisé les titres ?
C'est tout le talent de Benoit Courribet ! 25 ans sans se parler et nous avons trouvé notre méthode de travail en quelques échanges. C'est devenu une blague entre nous. Je lui envoie le morceau, avec un pré-mixe, les effets, mes petits réglages minutieusement peaufinés et une idée assez précise de ce que j'entends. Il reçoit le projet complet (on travaille sur Reaper) et la 1ère chose qu'il fait, c'est… tout effacer ! Là, il fait sa version et me l'envoie. Je fais une syncope et je passe une semaine en PLS (position latérale de sécurité) ... Après ça, systématiquement, je lui fais changer plein de trucs, il fait plusieurs versions et à la fin (mais vraiment à la fin), on revient à sa 1ère proposition. Ça se passe comme ça à chaque fois... Du coup, on gagne pas mal de temps maintenant. Nous savons que sa proposition en termes de mix est la meilleure... même s'il ne met pas assez d'aigus et que la batterie est trop forte...^^ Et plus sérieusement, c'est un régal de bosser avec lui. Il transcrit en musique ce que je lui dis avec des mots. Et cerise sur le gâteau, il n'a aucun problème d'égo ! Ça permet de mettre nos énergies au service de la musique et on gagne beaucoup en qualité. C'est vraiment Benoit qui m'a permis de passer un palier au niveau de la qualité de la production de l'album... Et puis, c'est un ami. Que ce soit pour « le Tombeau du Temps » ou les autres morceaux, chacun des musiciens a enregistré chez lui, avec son propre matériel ou studio. Ils m'ont envoyé leurs pistes ensuite. Sur « le Tombeau » plus particulièrement, Georgio nous a envoyé une piste brute que nous avons retravaillée avec Benoit. Les instruments sont tous enregistrés chez moi, exceptée la basse chez Benoit. Le mixage et le mastering sont réalisés chez Benoit, au Studio Cylens Mastering.
Un instrumental parmi tout ça, pourquoi ?
Parce qu'il n'y en avait pas ! En fait, tous les morceaux pourraient être des instrumentaux... Ils fonctionnent sans le chant... C'est une de mes règles de composition. Bien-sûr, les mix seraient différents, mais je pourrais faire le même album sans les chants... en changeant le titre.
C’est vrai que c’est rock tout de même ! Quand tu as écrit, composé, est-ce que tu avais une direction musicale déjà prédéfinie ou tu as voulu avant tout poser des émotions et qu’importe le chemin qu’elles prendraient ?
Des émotions, des émotions, des émotions et des émotions... Le rock, c'est mon socle... même si chaque chanson à la base est composée au piano (ou à la guitare). Mais je voulais retrouver de cette énergie que l'on trouve dans le rock, parfois brute, parfois sophistiquée, parfois dense, lourde, parfois éthérée...
Pour terminer, il serait intéressant de savoir ce que tu attends vraiment de « Chants de l’Erèbe » au-delà du fait que cela puisse trouver écho à notre sensibilité ? Et pour qui l’as-tu fait vraiment ?
C'est l'album que je m'étais promis de composer quand j'étais adolescent. C'est fait. Je me suis d'ailleurs demandé si j'allais avoir l'énergie et l'envie d'en faire un autre ou si j'allais m'arrêter là. Le suivant est en cours... Dans un monde parfait, j'aimerais bien que cet album donne envie à une structure de venir nous épauler un peu, parce que l'autoproduction est vraiment lourde pour une seule personne. La promotion, la diffusion, etc., ce sont des métiers à part entière ! J'ai la chance d'avoir un accueil très positif bien que je sorte de nulle part, mais il faut bien admettre qu'en proposant une musique un peu hors des clous, c'est difficile d'avoir de la visibilité dans ce monde-là ! En plus, je ne suis pas un bon candidat pour jouer de grandes scènes de séduction... Je suis assez brut de décoffrage comme garçon... Ça n'aide pas forcément. J'envisage également de monter une formation pour jouer ces morceaux en live... Reste à trouver les musiciens !... Car les Oneiroi sont éparpillés aux 4 coins de la planète et ça va être difficile de nous réunir tous. Bref... Les projets et les envies de manquent pas.
Quoiqu'il en soit, merci David de cet entretien. Tes questions sont percutantes et tes analyses, ciselées et précises. Je suis touché de tout ce que tu as pu percevoir à travers ma musique.
Et merci de ton soutien.
A bientôt.
Alexandre.
Arch Gros Barbare
31/03/2021