
04 décembre 2022
D'un bigbang, la lumière fût. Créant par la même occasion l'obscurité. Le concept de dualité naquît. S'en suivra le jour et la nuit, le bien et le mal, le chaud et le froid, le yin et le yang, les méchants et les gentils, etc... Tous ces antagonismes se complètent pour ne faire qu'un. Epoch of Unlight, groupe américain de death/black mélo, ont pris pour terrain de jeu la notion d'obscurité pour conter leurs histoires depuis les années 90. Après être restés dans l'ombre pendant de nombreuses années tel des orques se cachant de la lumière du soleil, ils reviennent à la lumière du jour avec un nouvel album "At War With The Multiverse" en 2022 soit 17 ans après l'album "The Continuum Hypothesis". Entrevue avec Scott Baggett, le chanteur du groupe depuis 2016, qui nous parle de cette sortie ainsi que des à-côtés, accompagné de Tino LoSicco, batteur et seul membre restant des débuts du groupe, qui nous explique les thématiques du groupe.
Il a fallu attendre 17 ans pour avoir entre nos mains le nouvel album de EPOCH OF UNLIGHT, un retour très bien reçu par le public qui ne semble pas vous avoir oublié, quel est votre ressenti par rapport à cette sortie ?
On le rappelle, votre album “At War With The Multiverse” est sorti le 16 Septembre 2022 chez Dark Horizon Records.
Scott Baggett (chanteur) : On ne voulait pas vraiment attendre 17 ans. On avait beaucoup de musique prête, mais nous n'avions pas une line up stable tout simplement. Nous avions prévu d'enregistrer pendant des années depuis le retour de Josh Braddock (qui jouait toutes les guitares sur "The Continuum Hypothesis") pour remplacer Jason Smith, et la pandémie et le manque de concerts nous a vraiment poussé à terminer ce qui devait être terminé. Nous étions inquiets d'avoir attendu trop longtemps et que personne ne s’en soucierait, ou peut-être que nous n'étions, tout simplement, pas en phase avec ce que le metal faisait à cette époque mais nous avons eu un si bon retour de la part des critiques et des fans, c'est juste incroyable. Nous avons vraiment mis l'accent sur l'écriture et les structures des chansons, donnant à l'auditeur l’envie de réécouter, et je pense que cet album le fait mieux que les précédents. Nous en sommes vraiment fiers, et nous sommes heureux d'avoir une si belle production grâce à Alan Burcham, il a vraiment travaillé dur dessus et ça se voit !
Tout semblait se passer pour le mieux pour vous à l’époque avec trois albums sortis chez The End Records : “What Will Be Has Been” en 1998, “Caught In The Unlight” en 2001 et “The Continuum Hypothesis” en 2005, qu’est-ce qu’il s’est passé pour que le groupe ne sorte plus d’album pendant si longtemps ? Le groupe n’était pas vraiment à l’arrêt puisque vous avez continué les concerts…
Scott : Le contrat d'Epoch avec The End s'est terminé avec le troisième album, et même si je n'étais pas là, à ce moment-là, je sais que les gars étaient un peu déçus par l'industrie, compte tenu de tout le temps et tout le travail qu'ils ont mis dans le groupe pour si peu de retour. Tino travaillait sur son diplôme, les membres du groupe allaient et venaient, et sans le vouloir, le groupe est devenu plus comme un passe-temps. Epoch n'a jamais cessé d'exister - ils jouaient toujours des concerts, écrivaient de la musique, etc., mais le travail de produire de la musique a pris le pas sur la création d'une vie en dehors du groupe. Il ne s’est rien passé de particulier, c'était juste une question de priorités et de membres du groupe qui allaient et venaient.
Vous êtes à nouveau productif depuis 2015 avec un EP du nom de “Foreshadows” (en autoproduction et sorti uniquement en format numérique) contenant en majorité des morceaux présent sur le nouvel album “At War With The Multiverse”. Vous aviez déjà le projet d’un album à ce moment-là ou bien cet EP vous a exposé à l’offre de label envieux de vous produire ?
Scott : Cet EP a été enregistré en 2012 en fait, peu de temps après que Jason Smith ait retrouvé le groupe. Ils ne l'ont pas vraiment promu et ne l'ont pas utilisé pour grand-chose, donc il a juste langui sur la page Bandcamp. Étant donné que ces chansons n'ont pas vraiment eu l'exposition qu'elles méritaient, nous avons décidé de les réenregistrer pour le nouvel album, et cela nous a également donné à Josh et moi une chance d'apposer nos marques sur les chansons puisque nous n'étions pas là pour l'EP. Il a été principalement enregistré pour essayer de générer un peu d'intérêt pour le groupe après avoir été silencieux pendant un bon moment.
Musicalement, ce nouvel album “At War…” est clairement du death mélo alors que vos trois premières productions flirtaient entre le death et le black mélo, que ce soit dans les instruments ou dans la voix. On est même agréablement surpris de l’apport des effets comme sur le morceau “An Amaranthine Line”. Aujourd’hui c’est Scott Baggett qui s’occupe du chant, semblable à celle de Johan Hegg (Amon Amarth), et il y a aussi l’arrivée de John Fortier à la guitare et le retour de Jash Braddock, déjà présent sur “The Continuum…”. C’est la somme de tous ces musiciens qui fait que EPOCH OF UNLIGHT se tourne plus vers le death mélo ?
Scott : Ah mec, merci pour la comparaison avec Johan ! Ce gars est l'un des meilleurs. Je chante dans ce style depuis 1991, c'était juste une sorte de technique vocale "classique" du death metal à l'époque, et je ne vois aucune raison de changer - je pense que cela a apporté une nouvelle dynamique à EoU, mélangeant ces profondeurs avec des aigus. Si vous suivez les albums, il y avait déjà une progression régulière du black metal vers un son de death metal plus mélodique, en particulier sur "Continuum". L'influence de John est très apparente dans "Amaranthine", et il a écrit la musique de "The Mobius Path" et "Beneath a Dying Sun" tout seul, et ce sont probablement les plus mélodiques du groupe. Je pense que mon chant death metal plus "classique" accentue l’idée que c’est un changement de son radical, mais enlevez cela et je pense que la musique sonne toujours proche de ce qui a été fait sur "Continuum". Alors oui, tu as raison, le line-up actuel et ce mélange de talents et d'influences nous font définitivement pencher davantage vers le death metal, mais c'est aussi la progression naturelle du groupe et c’est probablement ce que vous auriez entendu si cet album était sorti en 2008 au lieu de 2022.
Maintenant que vous avez une line-up solide, quel est l’objectif d’EPOCH OF UNLIGHT en tant que groupe ? Vous vous concentrez à cent pour cent sur le projet ? Par exemple, vous pouvez nous parler de votre méthode de travail ? Les fréquences des répétitions ?
Nous aimerions faire de courtes tournées, peut-être jouer à des festivals. À ce stade de nos vies, partir en tournée pendant des semaines n'est tout simplement pas faisable - nous avons des familles, des emplois, etc… que nous ne pouvons pas laisser derrière nous pour faire des tournées massives. Mais une semaine par moment, participer à des festivals occasionnels serait idéal. Nous sommes définitivement stimulés par les retours sur l'album et avons déjà commencé à travailler sur du nouveau contenu (ce ne sera pas dans 17 ans quand ça sortira, c'est promis !). On répéte deux fois par semaine, deux heures d’affilée, et si quelqu'un a des idées pour une chanson, ou des idées pour une chanson existante, c'est à ce moment-là que nous en discutons. Mais avec la technologie actuelle, il est facile de trouver des idées à la maison et de les enregistrer pour que tout le monde puisse les ajouter - à l'époque, vous deviez ramener à la maison un mauvais enregistrement sur cassette pour travailler dessus. C’est incroyable d’être musicien de nos jours avec la technologie !
On remarque une continuité dans les albums, par exemple dans le premier album “What Will…”, on retrouve le morceau “The Day The Light Has Died” suivi par “In The Absence of Light” sur l’album suivant “Caught In…” puis “The End of All” sur l’album “The Continuum…” et finalement “All Light Dies” sur le nouvel album. On note aussi la présence du concept de simulacre, qui renvoie à plusieurs événements de la mythologie grecque (Hélène de Troie ou le mythe de Pygmalion) ou dans le poème “Dream-Land” d’Edgar Allan Poe. Est-ce que ce sont des concepts que vous utilisez dans votre musique pour parler de la dualité entre la lumière et l’ombre ? Métaphore du voyage entre la vie et la mort ? Ainsi que pour aborder le concept de multiverse du nouvel album ?
Scott : Je vais laisser cette question et la prochaine à Tino, j’ai écrit la moitié des paroles du nouvel album mais les concepts dont tu fais mention viennent de ses paroles…
Tino LoSicco (batterie) : C'est une bonne observation et cela signifie beaucoup pour moi personnellement que tu aies pris le temps d'apprécier les paroles en plus des compositions musicales.
J'ai toujours essayé de façonner les paroles autour d'histoires ou de "scènes" qui a) divertissent mes prédilections sombres, de science-fiction et de fantasy ainsi que b) fonctionnent comme des outils allégoriques pour tisser ces concepts mêmes que tu mentionnes de lumière et "d’obscurité" tout au long de notre travail.En ce qui concerne ma passion pour la science-fiction et la fantasy, j'ai été un grand fan de l'auteur anglais Brian Lumley et il est juste de dire que mon écriture à cet égard est fortement influencée par son travail. (Vous pouvez remonter vers des auteurs tels que H.P. Lovecraft, Frank Belknap et Robert E. Howard.)
Les concepts de lumière et d'obscurité sont incarnés par les personnages de ces histoires. L'aspect multiversal est un autre fil conducteur reliant mes influences littéraires passées à l'écriture actuelle du groupe. Un point que je peux développer dans cette influence particulière est qu'une grande partie de ma formation était axée sur les mathématiques de niveau supérieur. Cela a été un terrain fertile pour appliquer certains de ces concepts théoriques du monde réel à un scénario plus sombre et imaginatif. [Par exemple, “The Mobius Path” sur le nouvel album et The Continuum Hypothesis du 3ème album.]
D’ailleurs concernant la notion de multivers, quel est votre point de vue à ce sujet ? Cela vous paraît réel ? Et si oui, vous avez une approche plus scientifique et rationnelle ou bien une approche fictive comme on peut le lire chez Clifford D.Simak dans le livre “Chaîne autour du soleil” qui a inspiré par la suite le concept des univers multiple dans l’oeuvre chronique de Philip K.Dick “Le maître du haut château" ou bien la conception des 52 terres dans l’univers DC Comics ?Tino : En revenant à ma réponse précédente, le multivers est un concept fascinant pour moi. Mon exposition à la théorie des ensembles et à la mécanique quantique à l'école ainsi que les nombreuses bandes dessinées et romans que j'ai lus au cours de mes années "formatives" ont constamment maintenu mon intérêt pour un concept multiversal. Et jusqu'à ce que la science prouve le contraire, je n'ai aucune raison d'en douter. Avec un concept aussi fascinant à utiliser comme tremplin pour une science-fiction plus sombre, je suis sûr qu'il continuera d'être une toile de fond pour les futurs écrits du groupe. Comme exemples que j'apprécie de l'approche fictive, j'encourage fortement tout le monde à lire la série “Necroscope” de Brian Lumley. “The Eternal Champion” de Michael Moorcock est également une lecture intéressante.
“At War With The Multiverse” est sorti uniquement sur format CD chez Dark Horizon Records en édition limitée pour l’instant, tout comme vos précédentes productions étaient des versions CD chez The End Records. Quel rôle a eu Dark Horizon Records dans la production de ce nouvel album ? Les autres formats ne vous ont jamais intéressés ?
Scott : Dark Horizon est notre partenaire pour la distribution de l'album, et Typhus (propriétaire du label) a fait un travail incroyable avec le packaging, il s'est vraiment donné pour le rendre spécial. Nous avions déjà enregistré l'album, commandé l'artwork, payé le mastering à Fascination Street, tout de nos poches, et il semblerait que la plupart des labels n'étaient pas intéressés par l'arrangement financier que nous voulions pour cette sortie particulière, qui, avec le recul, était compréhensible - nous aurions pu faire les choses différemment. Dark Horizon était d'accord et Typhus était vraiment à fond dans l'album, et sa passion nous a vraiment poussés à travailler avec lui. Nous ne sommes signés sur aucun label pour le moment, cet accord visait juste à sortir cet album, mais qui sait ce que l'avenir nous réserve ? En ce qui concerne les formats, nous avons des cassettes disponibles en ce moment, et peut-être du vinyle en 2023.
Étant sur un label américain, il est difficile de s’exporter en Europe et de distribuer l’album, vous avez pu avoir des partenariats avec des distributeurs européens pour la sortie de “At War…” ? Sur les précédents albums, c’était déjà le cas et votre troisième album “The Continuum…” a connu une réédition chez Candlelight Records, label anglais, en 2015. Une version européenne est prévue pour “At War…” ?
Scott : Ouais, c'est le seul inconvénient avec l'arrangement Dark Horizon, c’est que nous ne pouvons pas facilement obtenir les CD à l'étranger. Nous y travaillons, et DHR a fait des échanges avec des labels non américains pour rendre disponibles de petites quantités un peu partout, mais il n'y a pas vraiment de date prévue pour le moment. Si quelqu'un qui lit cette interview et souhaite conclure un accord de distribution européenne avec nous, nous y sommes ouverts. Les CD étaient fabriqués en Pologne, il ne serait donc, probablement, pas difficile d'obtenir un lot exclusif à l'Europe. Je suppose que le problème est que les supports physiques non vinyles ne bougent plus aussi bien qu'avant. Nous avons un master vinyle de l'album, mais le temps d'attente est si long et il est si coûteux de produire en quantités appropriées pour nous, cela n'a aucun sens tant que nous n'avons pas une meilleure idée de la façon dont il se vendra.
En fin de compte, nous possédons cet album à 100% et pouvons en faire ce que nous voulons, et le faire distribuer ailleurs est juste une question de trouver le bon partenaire, comme nous l'avons fait avec Dark Horizon aux États-Unis.
Vous avez déjà quelques dates de prévues aux États-Unis, d’ailleurs vous n’avez jamais vraiment arrêté de tourner pendant ces dix-sept années entre “The Continuum…” et “At War…”. Est-ce que vous vous êtes déjà produit en Europe par le passé ? Si l’opportunité se présente c’est quelque chose qui vous intéresserait ?
Scott : Nos seuls concerts hors États-Unis ont eu lieu au Mexique et au Canada. Nous aimerions jouer ailleurs bien sûr ! Il peut être difficile pour un groupe de notre niveau d'obtenir de telles offres sans management, donc nous travaillons aussi là-dessus provisoirement. Mais même sans management, nous écouterons bien entendu tout promoteur qui souhaiterait nous programmer. Sans vouloir nous mettre en avant, notre show est une énorme boule d'énergie, aussi âgé que l’on soit, et nous aimerions le partager partout où c’est possible !
Voici la fin de l’interview, on vous laisse le mot de la fin
Scott : Merci pour l'interview, tu as vraiment posé de bonnes questions ! Nous tenons également à remercier tous ceux qui se souviennent de notre existence, et nous ne pourrons jamais nous excuser à la hauteur de l’attente entre les albums. Mais la façon dont nous nous sommes sentis après sa sortie et après avoir vu tant de gens l'adorer, cela nous a vraiment motivés à sortir plus de nouvelles musiques très bientôt !
Le Mexicain Octobre/Novembre 2022