AODON - Portraits -


23 avril 2023

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Groupe : AODON

Titre : Portraits

Label : Willowtip Records

Année : 2023

C’est effectivement dans « ce palais de bronze érigé dans les ronces où chaque pièce est une ode à la torture » qu’ AODON vous a offert « Mayerson » pour vous faire patienter jusqu’au mois de juin, sixième mois de l’année qui annonce le retour des périgourdins.

Depuis 1999 et les italiens de Evol, personne n’avait eu l’audace de nous envoyer en pleine face un titre d’album aux mille visages, mais ici ces « Portraits » semblent posséder toutes les facettes saillantes qui vous cisailleront l’esprit grâce à cette haine toujours présente dans leur black metal torturé, brumeux et aérien.

Et pour bien illustrer le propos, AODON choisit toujours des artistes avec attention et minutie, car si leur second album « 11069 » avait eu les faveurs de Ludovic Robin, trois ans plus tard c’est Alex Eckman, artiste contemporain qui pénètre les pensées (peut-être et subjectivement situé entre Picasso et Dali), qui était le mieux placé pour visualiser la musique de cet album et montrer intérieurement ce que l’on ne peut pas lire sur les visages.

AODON nous replonge en immersion, encore et toujours au travers de textes français subtilement bien pensés et rédigés que le trio (toujours) met tour à tour en lumière par des chansons qui déchirent et défigurent celui qui ose tenter l’aventure ; en ouvrant cette nouvelle boîte de Pandore où les neuf titres seront de véritables chaînes avec au bout leurs crochets pour vous attirer finalement vers les enfers (comme le faisait Hellraiser), au lieu d’en faire sortir les maux.

Et dans ces textes AODON parle de solitude bien souvent, de souffrance constamment, et de mort assurément. Le tout de manière personnelle à chaque titre, d’où les neuf portraits qui y sont dessinés grâce au chant éraillé de M-Kha qui saura encore une fois hurler l’agonie comme un loup solitaire dans la faible lueur de la nuit.

La nature humaine y est décrite avec un regard noir rempli de compassion, mais aussi comme une funèbre oraison. Et la musique d’ AODON n’aura jamais été aussi intelligente de paradoxe, parce que la rage que ce groupe a toujours possédé est encore infiniment présente, mais elle se mêle à des émotions plus raffinées, plus humaines et tout aussi écorchées.

Il semblait difficile de faire mieux que « 11069 » parce qu’AODON avait magistralement composé dans une dimension musicale la définition de la souffrance, mais aujourd’hui « Portraits » s’ouvre intégralement vers la nature humaine et en extirpe ce qu’il y a de plus sombre.

Ce nouvel album va plus loin, même s’il est moins long que son prédécesseur de quelques minutes ; rien qu’avec « Swen » on découvre une mélancolie réelle qui surgit des ténèbres au niveau des guitares en plein milieu de nulle part, ce qui accentue le mouvement vers quelque chose d’éthéré tout en gardant cette volonté de détruire.

La connexion qui s’était faite avec le Vamacara studio sur les deux premiers albums n’est plus, et AODON s’est orienté pour mixer et masteriser ce nouvel album vers les studios de AJ Viana Productions, basés proche de Philadelphie, mais ils ont su conserver l’esprit de la musique du groupe, sans le dénaturer tel qu’il a toujours été.

On retrouve avec « Egon » la facette nihiliste que peut avoir la musique d’AODON et pendant qu’on écoute ces envolées mortelles on regarde « l’azur perdu de la splendeur terrestre ».

« Portraits » nous identifie pas à pas dans un réseau social spirituel où les ténèbres sont la connexion et où la batterie dégage sa fureur sur les morceaux tandis que les guitares s’amusent à jouer une ambivalence perverse, attirant l’auditeur comme un morceau de viande attaché à la laisse d’un chien affamé, pour mieux le laisser choir dans des atmosphères où « le rouge a devasté la Terre entière », ramenant quelque part à la génèse de toute chose .

On frémit, on ressent, on est en vie à l’écoute de ce nouvel album, et c’est dans un univers sans faille qu’« Andreas » vous amènera « dans des couloirs sans fin », à écouter cette voix ô combien gémissante et amère d’un esprit sain enfermé dans un corps malade.

Mais alors que l’on pensait finir l’album de manière hémorragique n’attendant que la fin lentement pour que nos visages reprennent possession de nous-mêmes, « Liza » presque épique sur ses batteries, vient avec ses variations de violences et ses ambiances fantasmagoriques « souffler au creux de votre oreille sa poésie glaçante ».

Vous aurez hâte de changer de portraits pour découvrir ce qu’il se passe derrière chaque masque, chaque secret terrifiant qu’il renferme, jusqu’à « Inaki » brûlante ne laissant derrière elle qu’ « une ligne incendescante » et enfin « Sheelagh », certainement la plus cosmique qui « dans un cercle obscur » vous laisse seul, une fois l’album terminé « croupissant lentement jusqu’au soleil mourant »…

« 11069 » confirmait le talent de AODON, mais « Portraits » affirme sa domination.

Arch Gros Barbare

23/04/2023