END OF MANKIND -Antérieur à la lumière-


16 novembre 2020

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Groupe : END OF MANKIND

Titre : Antérieur à la lumière

Label : Mallevs Records

Année : 2020

Si en matière de black metal français, la scène peut selon un certain angle de vision, être tombée en désuétude totale ces dernières années, très peu d’albums sont sortis du lot en cette année 2020. On retiendra sans difficulté le « 11069 » d’Aodon. Mais avec une égalité parfaite et dans une ambiance relativement proche sur les émotions plus que dans l’approche musicale elle-même ; à l’instar des périgourdins, les franciliens de END OF MANKIND sont également montés, non pas d’un cran, mais de plusieurs étages avec leur second album « Antérieur à la lumière », fraîchement sorti en formats différents, mais ici en cd chez Mallevs records.

Quelle splendeur ténébreuse, mise en non lumière que ce nouvel album où le groupe, composé de membres issus de certaines formations black ou pagan bien connues du plus grand nombre, (remanié depuis peu après avoir vu certains partir et d’autres arriver) offre neuf titres aussi sombres que l’œuvre entière de Pierre Soulages qu’il met en exergue, au travers d’un voyage de l‘humanité, à travers elle-même pour n’aboutir qu’à sa propre fin.

Et comment mieux débuter avec le premier titre qui porte bien son nom, autrement qu’en samplant une partie du discours d’Albert Camus, prononcé le 10 décembre 1957 lors de la réception de son prix Nobel de littérature, une introduction si actuelle et si vraie qui, à elle seule, hisse cet album au sommet de son art car elle touche, elle fait mouche et demande plusieurs écoutes avant de vraiment débuter l’album et de pénétrer dans cette noirceur opaque et absconse qu’est « Antérieur à la lumière ». Cet album se révélant quelque part le regard, la vision et la réalité du monde actuel.

Si le black metal de END OF MANKIND se veut en grande partie relativement inspiré par les muses d’antan, on distingue bien une espèce de continuité évolutive dans les presque quarante minutes de ce nouvel album qui va plus loin dans l’introspection que n’avait pu le faire « Faciem diaboli ».

Les titres de ce nouveau chapitre possèdent une âme très black metal dans leurs accélérations, comme le souligne rapidement un titre tel que « Temporary flesh suit » qui possède malgré tout cette agressivité primaire black/thrash qui s’arrête net pour laisser les atmosphères plus post-black envahir l’esprit de l’auditeur de manière sournoise et enfin reprendre le cours normal de leur brutalité en y incorporant cette mélancolie fantomatique qui perdurera tout au long de l’album. Cette mélancolie qui en devient un fil d’Ariane des profondeurs abyssales.

Et c’est avec cette suite extrêmement bien écrite que END OF MANKIND rappelle quelque part les inspirations des périgourdins d’Aodon, avec « La peste dansante » qui exacerbe ce côté noble du black metal grâce à son chant français, d’une part, mais aussi grâce à ses breaks ultra rapides, baignés dans un théâtralisme de fin du monde, où la rythmique de ce morceau devient un véritable hymne au noir.

Vitesse, mélodie, atmosphères brumeuses, « La peste dansante » demeure certainement un des titres les plus riches de l’album où ce frisson glacial vous remonte l’échine grâce à cette torpeur transcendante due aux guitares laconiques.

Chaque chanson est une étape de cette longue descente aux enfers de l’humanité et l’on se retrouve véritablement confiné dans une ambiance hermétique depuis le début de l’album, lorsque « Outrenoir » nous parle de ce qui est antérieur à la lumière, lorsque « Géhenne » sert d’interlude mais surtout d’introduction à la divine et titanesque « Golgotha », on se rend rapidement compte que END OF MANKIND a écrit un chef-d’œuvre du black metal contemporain. Celui-là même, plein de poésie, plein de bourgeoisie ; celui-là même, avec « Golgotha » qui oscille entre une violence inouïe et une suprême mélancolie, presque ingénue sur sa mélodie principale, mais qui offre à l’album ses lettres de noblesse et son cachet de cire.

Jusqu’à la fin, END OF MANKIND nous donne une vision bien française, bien parisienne de la déchéance humaine, avec des vocaux si torturés et pourtant tellement fusionnels, que l’on aperçoit de manière cristalline où le groupe veut nous amener.

Pas une rature, pas une goutte de trop, pas un seul faux-pas, durant ces neufs titres, END OF MANKIND domine son sujet et rédige sa thèse avec tout le recul nécessaire pour que sa musique soit si pertinente qu’elle en deviendrait une doctrine.

En fin de parcours, si tour à tour les instruments ont eu droit à leur moment de gloire, « Step towards oblivion » vient à mettre en avant, sans parler de démonstration technique, des percussions rythmiques qui mènent la danse jusqu’à l’isolement ; parce que « Le boel » vient clore, les yeux plein de larmes, cet album d’une musicalité si colossale avec son atmosphère typiquement post-black metal.

Que dire de plus si ce n’est vous faire lire, ce fragment choisi du texte d’Albert Camus qui, à lui seul, explique le contenu de « Antérieur à la lumière » :

« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d'une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd'hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l'intelligence s'est abaissée jusqu'à se faire la servante de la haine et de l'oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d'elle, restaurer à partir de ses seules négations un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, elle sait qu'elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d'alliance. »

Arch Gros Barbare

16/11/2020